Aujourd’hui j’ai envie de parler de la diversité dans l’ UX design (UXD), ou du moins ce que j’en comprends, ce que j’en perçois – pour l’instant. Quand j’ai fait ma première plongée dans le monde de l’UX, que j’ai pris le temps d’explorer ce qui s’offrait à moi, je suis remontée à la surface un peu étonnée : j’avais lu et entendu plusieurs fois « on ne conçoit pas pour tout le monde ». Ah bon ?
User centered design (UCD)
Bon ok, je n’ai pas mis longtemps à découvrir que la suite de la phrase c’était « on conçoit pour une cible précise ». Mais quand même, le début de cette affirmation me chagrinait. Est-ce que ça veut dire qu’on exclut automatiquement des gens, des types ou des groupes de personnes de notre travail ? Comment on fait ? Surtout, comment on fait pour que ça reflète une réalité ? Bien sûr, je comprends l’idée générale qui se cache derrière cette phrase. On doit concevoir un produit en sachant pour qui on le fait : c’est de cette manière que l’on comprend à quelles attentes il doit répondre. On fait des recherches ; a priori on commence par les recherches secondaires (oui), c’est-à-dire qu’on s’intéresse à toute la documentation pertinente que l’on peut trouver sur les personnes concernées par notre projet. On recoupe ces infos avec les caractéristiques de base notre produit, et à partir de là, on peut avoir une meilleure vue de qui sont nos utilisateurs potentiels.
Mettons que l’on ait envie de créer une plateforme numérique qui permette aux lecteurs et lectrices de partager leurs découvertes et leurs coups de cœur (au hasard). Pour l’instant ce sont nos seuls prérequis ; on tente de définir notre cible. En effectuant nos recherches, on aura appris que globalement les personnes en France qui lisent le plus sont les séniors (+65 ans). Mais comme notre produit est numérique, on a aussi conclu que la plupart manqueraient de moyens et compétences techniques pour l’utiliser. Alors on a décidé de les mettre un peu de côté pour se concentrer sur une autre tranche d’âge, plus jeune et qui lit aussi beaucoup : les quarantenaires. Mais est-ce que ça ne serait pas un peu dommage de réduire autant notre cible ? Et surtout… très excluant ? La lecture est assez intergénérationnelle, c’est d’ailleurs ce qui fait une partie de sa richesse. Peut-être qu’il faudrait plutôt tester l’usabilité du produit pour différentes catégories d’âges, et penser l’UX writing pour qu’il soit compris par les séniors ET les plus jeunes. Non, toujours pas convaincus ?
Pourtant ce n’est pas moi qui l’invente, ce sont même à cela que servent les persona dans le processus du design centré utilisateur. Parce que faire partie d’une même cible ne signifie pas avoir les mêmes comportements, les mêmes habitudes, ni les mêmes moyens. A la fin de notre phase de recherche, on construit trois ou quatre persona qui balaient assez largement notre cible. On pourrait avoir Carole, quarante trois ans, grande lectrice et amatrice de polars qui aime prendre du temps le dimanche pour rédiger des avis sur son ordinateur et les partager à sa communauté. Eli, trente-quatre ans, qui travaille beaucoup, lit peu, aimerait lire plus, et parcourt les recommandations sur son smartphone dans les transports pour se donner des idées de romans. Et puis Martine, soixante huit ans, qui lit énormément, habite loin de ses enfants et aimerait pouvoir partager son passe-temps favori avec eux en utilisant l’ordinateur qu’ils lui ont offert. Tout l’enjeu du travail qui suit est de concevoir une plateforme qui répondent à leurs besoins, leurs attentes, avec des fonctionnalités qui seraient utilisables par nos trois persona. Et pour vérifier, on le sait, on doit faire des tests.
Bon, jusque-là, ça reste, je crois, assez basique en UXD. Mais moi, je me pose encore une autre question, bien plus large : comment on peut faire pour être véritablement inclusifs dans cette démarche ?
Human centered design ( HCD)
Qu’est-ce qui dans notre travail prend en compte les caractéristiques humaines particulières qui transcendent les catégories pré-établies de notre recherche ? Le user centered design permet de réfléchir à la diversité de moyens disponibles en lien direct avec notre produit chez nos utilisateurs ; donc à l’usabilité. Le human centered design, pour moi, va plus loin, voit plus large. En faisant des recherches, j’ai souvent lu que ces termes étaient interchangeables. Pourtant il y a une différence sémantique, et je pense que ce n’est pas pour rien. C’est d’ailleurs ce qu’explique assez bien cet article du Tubik blog. Le HCD permet une prise de hauteur indispensable et s’interroge sur l’accessibilité et l’inclusivité d’un produit. Il pose les questions que l’on oublie de se poser parce qu’elles vont au-delà d’un produit ; or dans l’UCD on réfléchit d’abord dans une dualité utilisateur – produit, ce qui est essentiel, mais limité.
Il me semble que les questions posées par l’HCD tournent d’avantage autour des axes suivants : les différences cognitives, les handicaps sociaux, les limitations physiques et les discriminations sociales. Prendre ces problématiques en compte n’est peut-être pas nécessaire pour la vitalité et la durabilité d’un produit d’un point de vue business, mais cela introduit le principe de responsabilité dans sa conception, et je trouve ça bien plus intéressant.
Reprenons l’exemple de notre super plateforme numérique de partage de lectures. Elle est maintenant adaptée à notre cible définie, Carole, Eli et Martine peuvent l’utiliser à loisir. Mais qu’en est-il de Rémi ? Rémi a vingt-six ans, est autiste, et comme beaucoup de personnes autistes, il a des intérêts spécifiques auxquels il consacre beaucoup de temps. Par exemple, la lecture. Il aimerait beaucoup parler de ses coups de cœur littéraires, mais il n’est pas très à l’aise avec les interactions sociales en groupe, alors le club de lecture… bof. Il découvre notre plateforme, ravi, il pense qu’il a trouvé un super moyen de partager sa passion. Mais il déchante bien vite : des couleurs vives, du texte essentiel écrit sur des images, des fenêtres pop-up pour suggérer des chaînes par thèmes, des vidéos qui se déclenchent automatiquement. Ses spécificités cognitives font qu’il ne peut pas supporter une telle interface. Donc il n’utilisera pas notre plateforme.
Il faudrait opérer des changements pour la rendre plus accessible, et donc inclusive. On se confronte parfois à l’idée qu’une amélioration pour une personne signifie une dégradation pour une autre. Mais les solutions existent pour contenter tout le monde. En l’occurrence dans cet exemple, réduire le bruit cognitif et l’imprévisibilité de l’interface ne devrait faire de tort à personne – au contraire – c’est simplement l’intensité du vécu suite au changement qui change. Et si vraiment c’est dommageable pour l’expérience de la majorité, on peut aussi considérer la notion de personnalisation, qui revient au principe même de l’UXD : c’est à une interface de s’adapter à son utilisateur, pas l’inverse.
Si vous vous intéressez aux questions de l’autisme dans l’UXD, je vous suggère de lire ces articles qui constituent un bon point de départ.
Il y a un dernier point que je voudrais aborder dans cet article, et après c’est fini, promis. Malgré toutes les recherches que l’on peut effectuer en tant qu’UX designer, et toute l’ouverture d’esprit dont on peut faire preuve, nos biais excluent nécessairement des personnes ou des caractéristiques spécifiques dans notre démarche. Ne serait-ce que par la façon dont on attaque nos investigations, les canaux d’informations que l’on utilise. Dans un premier temps, je crois qu’il est nécessaire d’identifier ces biais. Mais surtout, il est plus intéressant de travailler dans un environnement qui est lui-même diversifié. L’entre-soi ne favorise jamais l’émergence de nouvelles idées ni de nouvelles perspectives ; et ce serait quand même dommage de lui céder ce qui constitue l’essence de l’approche UXD.